Puis vient un âge, un âge second, où l'on sait déjà, au moment où l'on commence à vivre un bonheur, que l'on va, au bout du compte, le perdre. Lorsque je rencontrai Belle, je compris que je venais d'entrer dans cet âge second. Je compris également que je n'avais pas atteint l'âge tiers, celui de la vieillesse véritable, où l'anticipation de la perte du bonheur empêche même de le vivre. Pour parler de Belle je dirai simplement, sans exagération ni métaphore, qu'elle m'a rendu la vie. En sa compagnie, j'ai vécu des moments de bonheur intense. Cette phrase si simple, c'était peut-être la première fois que j'avais l'occasion de la prononcer. J'ai vécu des moments de bonheur intense. C'était à l'intérieur d'elle, ou un peu à côté ; c'était quand j'étais à l'intérieur d'elle, ou un peu avant, ou un peu après. Le temps, à ce stade, restait encore présent ; il y avait de longs moments où plus rien ne bougeait, et puis tout retombait dans un « et puis ». Plus tard, quelques semaines après notre rencontre, ces moments heureux ont fusionné, se sont rejoints ; et ma vie entière, dans sa présence, sous son regard, est devenue bonheur.